Au nom de l’état d’urgence, le gouvernement a accéléré la mise en place du Health Data Hub, une plateforme devant centraliser la quasi-totalité de nos données de santé. Dans un avis, la Cnil relève, notamment, que le contrat « mentionne l’existence de transferts de données en dehors de l’Union européenne ». La directrice du projet dément.
Tandis que tous les yeux sont rivés sur les débats autour de l’application StopCovid et du dispositif de fichage envisagé dans le cadre des enquêtes épidémiologiques de suivi des personnes infectées, le gouvernement a autorisé, au nom de l’état d’urgence sanitaire, le déploiement anticipé du Health Data Hub, la plateforme devant centraliser l’ensemble de nos données de santé, hébergées par Microsoft et, s’inquiète la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), potentiellement transférables aux États- Unis.
Alors que le projet était encore en cours de déploiement, et que tous les textes d’applications ne sont pas encore prêts, le gouvernement a pris le 21 avril dernier, au nom de l’état d’urgence sanitaire, un arrêté modifiant celui du 23 mars sur l’organisation du système de santé durant l’épidémie. Il autorise le Health Data Hub, ainsi que la Caisse nationale de l’assurance-maladie (Cnam), à collecter, « aux seules fins de faciliter l’utilisation des données de santé pour les besoins de la gestion de l’urgence sanitaire et de l’amélioration des connaissances sur le virus Covid-19 », un nombre considérable de données.
Seront ainsi intégrées à la plateforme les données du Système national des données de santé (SNDS) qui regroupe lui-même les principales bases de données de santé publique, les « données de pharmacie », les « données de prise en charge en ville telles que des diagnostics ou des données déclaratives de symptômes issues d’applications mobiles de santé et d’outils de télésuivi, télésurveillance ou télémédecine », les données des laboratoires, celles des services d’urgence, « des enquêtes réalisées auprès des personnes pour évaluer leur vécu » ou encore celles issues du pourtant contesté SI-VIC, le système de suivi des victimes lors de catastrophes sanitaires qui, au mois d’avril dernier, avait été utilisé pour ficher des gilets jaunes.
Le Health Data Hub récupérera aussi des données issues des enquêtes épidémiologiques instaurées par la loi de prolongation de l’état d’urgence sanitaire, dont celles du Système d’information national de dépistage populationnel (SIDEP), un fichier spécialement créé pour centraliser les résultats d’analyses des laboratoires. Comme l’explique un document du ministère de la santé, l’un des buts du SIDEP sera en effet de « permettre une réutilisation des données homogènes et de qualité pour la recherche ». « Dans le cadre du Health Data Hub », cette réutilisation se fera « avec un chaînage avec les autres données du SNDS ».
Ce fichier « va aider à l’identification des cas car il permet d’avoir une visibilité sur les nombreux cas de contamination testés en dehors de l’hôpital », explique la directrice du Health Data Hub Stéphanie Combes. « Les données seront pseudonymisées », assure-t-elle.
Autre ajout au Health Data Hub, l’arrêté prévoit une « remontée hebdomadaire » des données du programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI), qui comptabilise les actes médicaux facturés par les hôpitaux dans un but de gestion économique et administrative des établissements. « C’est essentiellement un fichier économique et qui peut avoir ses limites en fonction des usages, détaille Stéphanie Combes. Mais il comporte beaucoup d’informations intéressantes. Il comprend des codes qui permettent de déterminer chaque acte médical, et donc par exemple de savoir si le patient a été en réanimation. Croisées aux données de l’Assurance-maladie, elles permettront par exemple d’évaluer la comorbidité ou les facteurs de risque. »
À quoi servira une telle concentration de données ? « Les outils numériques peuvent être une aide à la gestion de cette crise sanitaire », assure Stéphanie Combes, qui donne quelques exemples. « Il y a tout d’abord des outils d’aide à la modélisation de l’évolution de l’épidémie, en analysant notamment les passages aux urgences. On pourra également plus facilement évaluer l’efficacité des traitements grâce à ce qu’on appelle des “essais virtuels”, les “données de vie réelle” qui, croisées avec les données pathologiques, permettront de comprendre dans quels cas le virus se développe et donc de mieux suivre les patients à risque. Même si pour l’instant il est un peu trop tôt, on pourra analyser les parcours de soin des personnes ayant été contaminées. Enfin, à plus long terme, ces données permettront d’étudier les conséquences plus générales de cette crise, au-delà du virus lui-même. Je pense par exemple aux conséquences du confinement sur notre système de santé qui a entraîné le report de nombreux actes médicaux. On pourra mieux prévoir et organiser la reprogrammation de ces actes. »
Pourtant, la publication de cet arrêté accélérant la mise en place du Health Data Hub n’est pas du goût de tout le monde. Lancé au printemps 2018 par Emmanuel Macron dans la foulée du rapport Villani sur l’intelligence artificielle, ce projet est en effet vivement contesté en raison des craintes relatives à la protection de la vie privée des usagers et faisait actuellement l’objet de discussions visant à apaiser les tensions.
Le Health Data Hub avait été acté par la loi santé du 24 juillet 2019. Son but est de remplacer l’actuel SNDS qui centralise déjà les principaux fichiers de santé, dont celui de l’Assurance-maladie, tout en élargissant considérablement sa portée. À terme, toute donnée collectée dans le cadre d’un acte remboursé par l’Assurance- maladie sera centralisée dans le Health Data Hub, des données des hôpitaux à celles du dossier médical partagé ou celles des logiciels professionnels utilisés par les médecins et les pharmaciens.
Cette concentration sans précédent de données de santé avait suscité immédiatement de vives inquiétudes, notamment de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil). Dans un avis rendu sur la loi santé, elle soulignait qu’« au-delà d’un simple élargissement, cette évolution change la dimension même du SNDS, qui viserait à contenir ainsi l’ensemble des données médicales donnant lieu à remboursement ». La commission appelait « dès maintenant l’attention sur la problématique majeure du respect, en pratique, des principes de limitation des finalités et de minimisation des données par ces nouveaux traitements, évoluant dans un contexte d’accumulation de données pour alimenter les algorithmes d’intelligence artificielle ».
De plus, le Health Data Hub est géré par un groupement d’intérêt public (GIP) chargé d’administrer l’ouverture des données à des acteurs extérieurs. Or, comme le soulignait la Cnil, la loi santé a également modifié les textes régissant ces accès afin de permettre leur utilisation par des acteurs privés. Jusqu’alors, les données personnelles de santé ne pouvaient être soumises à un traitement informatique que dans le cadre de « l’accomplissement des missions des services de l’État » ou « à des fins de recherche, d’étude ou d’évaluation » et « répondant à un motif d’intérêt public ». La loi santé a fait disparaître toute référence à une finalité scientifique pour ne conserver que le « motif d’intérêt public ».
Enfin, et sans doute s’agit-il du point le plus bloquant, l’ensemble de ces données sera hébergé par le géant américain Microsoft. Ce projet était confronté à une fronde de plusieurs acteurs du monde médical. Les hôpitaux, notamment, possèdent déjà leurs propres bases de données, stockées dans des « entrepôts », qu’ils exploitent déjà par eux-mêmes. Beaucoup acceptent mal cette obligation de transférer, sans contrepartie, ce véritable patrimoine numérique, qui plus est pour que celui-ci soit centralisé à l’extrême et confié à un acteur soumis à la loi américaine qui peut, en théorie, le contraindre à offrir un accès à ces données aux autorités. Ces craintes avaient été notamment exprimées dans un courrier envoyé par le directeur de l’AP-HP Martin Hirsch au ministère de la santé.
De plus, l’attribution de l’hébergement à Microsoft s’était faite sans appel d’offres, provoquant ainsi la colère d’autres acteurs du numérique français. Au mois de mars dernier, plusieurs d’entre eux avaient écrit au ministère de la santé pour dénoncer un délit de « favoritisme » et demander l’ouverture d’une enquête.